Cela est un lieu commun : nous assistons, bien impuissants, à la casse des services publics, comme le montre les exemples de la Poste et de la SNCF. Cette logique de concurrence est en parfaite conformité avec l’évolution du capitalisme : nous devrions vivre dans une compétition permanente entre les êtres humains. Cette conception sociale transforme notre planète en d’immenses marchés où chacun, chacune doit être prêt(e) à s’enrichir individuellement dans le cadre de la « libre concurrence » !
Comme une lettre à la Poste La Poste est le prochain service public qui devrait passer à la trappe : l’introduction de capitaux privés dans son capital est prévue pour janvier 2010. C’est le PS, alors au pouvoir dans les années 1980, qui a enclenché le processus, en séparant la poste des télécommunications. On voit où a conduit la privatisation du téléphone : aux suicides de certains salariés, sans doute victimes du « nouveau management ». « Plutôt que d’obéir à des procédures formelles et à des commandements hiérarchiques venant d’en haut, les salariés ont été amenés à se plier aux exigences de qualité et de délai imposés par le “ client ’’, érigé en source exclusive de contraintes incontournables.
Dans tous les cas l’individualisation des performances et des gratifications a permis la mise en concurrence des salariés entre eux comme type normal de relation dans l’entreprise. (…) Les nouvelles formes de discipline de l’entreprise néolibérale s’opèrent à plus grande distance, de manière indirecte, antérieurement ou postérieurement à l’action productive. Le contrôle s’opère par l’enregistrement de résultats, par la traçabilité des différents moments de la production (ici l’informatique joue un très grand rôle, note du rédacteur), par une surveillance plus diffuse des comportements, des manières d’être, des modes de relation avec les autres, spécialement dans tous les lieux de production de services qui mettent en relation avec la clientèle et dans toutes les organisations où la mise en oeuvre du travail suppose la coopération et l’échange d’informations. »
Outre la dégradation des conditions de travail des salariés, le critère de rentabilité remet en cause l’égalité de l’offre des services sur l’ensemble du pays. Ainsi, lorsqu’une zone rurale n’est pas jugée suffisamment rentable par les opérateurs, les habitants ne peuvent bénéficier de l’ADSL ou du dégroupage total, comme dans les zones urbaines. De même, pour que la Poste soit le plus rentable possible, afin qu’elle puisse susciter l’intérêt des futurs actionnaires, l’envoi de colis est de plus en plus onéreux : si l’on souhaite que notre paquet ne mette pas des jours et des jours pour arriver à son destinataire, le guichetier nous propose de payer plus chers des services qui autrefois n’avaient pas lieu d’être, comme Chronopost, puisque tous les colis voyageaient à la même enseigne, sauf exception.
On assiste à une réduction significative du nombre de bureaux de poste. Par exemple, en Indre et Loire, il y avait 164 bureaux ouverts toute la journée en 2004 ; il en reste 37 aujourd’hui. Quant aux « relais-postes-commerçants », ils sont passés de 11 à 28, mais ne remplissent pas les activités d’un bureau de poste. Ainsi, les files d’attente s’allongent et la vente de papeterie commence à prendre le pas sur l’expédition du courrier (ne parlons pas de l’évolution bancaire de ce service) ! La Poste a perdu nationalement 55 000 emplois depuis 2002. Elle compte actuellement 272 000 salariés.
Le réseau ferré n’a pas échapp é aux piranhas de la finance ! La SNCF quant à elle a été divisée en trois branches : Réseau Ferré de France (RFF) pour toutes les infrastructures, le service fret et enfin le service voyageurs. Au niveau de l’organisation, cette séparation en secteurs autonomes instaure des rapports vendeurs/acheteurs entre ces trois services, car RFF vend l’utilisation du réseau ferré. Cette séparation conduit également à ce que les différents services composant la SNCF ne puissent se compenser financièrement. Cela renforce la logique qui conduit à se débarrasser des « canards boîteux », en réduisant, voire en fermant, des services jugés moins ou non rentables.
L’organisation s’en trouve alourdie sans que la qualité du service
(Chiffres donnés lors de la réunion publique organisée à Tours le 9 septembre 2009 par le Comité 37 contre la privatisation de la Poste) rendu en soit améliorée, bien au contraire. Par exemple, le parc des locomotives a été divisé : une partie allant au service voyageur et l’autre aux marchandises. En cas de besoin, l’un des services doit demander à l’autre de lui prêter une machine (peut-être la lui loue-t-il, qui sait ?). Le service fret est déjà ouvert à la concurrence : depuis plusieurs années, ce service privilégie les trains complets, c’est-à-dire les trains ne comportant qu’un seul type de wagons ne transportant qu’une variété de marchandises, comme par exemple les céréales ou bien l’essence.
L’intérêt est important : ce sont des trains qui traversent la France entière, voire même vont dans d’autres pays européens, sans être dételés. Ils n’ont plus besoin de passer par des gares de triages, raccourcissant ainsi leur temps de parcours et donc réduisant à la portion congrue ces dernières gares. Mais cela impose le développement des transports routiers qui sont plus à même de répondre aux besoins de la gestion à flux tendu que pratiquent les entreprises (tendre vers le zéro stock pour immobiliser le moins possible de capitaux). Dans ces conditions, le nombre de camions sur les routes ne va pas se réduire, à moins que la crise s’aggrave Enfin, les conditions de sécurité (dont la SNCF se glorifiait) ne sont plus respectées.
L’accident survenu ce printemps près d’Angoulême lors d’un passage d’un train de marchandises privé en est la démonstration. L’arrimage insuffisant des marchandises sur les wagons en a été la cause. Une partie des marchandises s’étant décalée, le chargement empiétait sur l’autre voie de circulation, entraînant une collision avec un train lui aussi de marchandises : une locomotive détruite et un cheminot blessé. On a frisé la catastrophe, car il aurait pu croiser un train de voyageurs et blesser gravement un grand nombre de personnes. Cette privatisation va aussi de pair avec la réduction du nombre de travailleurs, conduisant à une dégradation des conditions de travail, du matériel, de la sécurité et du service rendu aux usagers.
Le service voyageur, lui, va être privatisé d’ici quelques années. Dans l’immédiat, la SNCF développe les TGV et invente, quand il n’y a pas de lignes à grande vitesse prévues dans l’immédiat (comme sur la ligne Paris/ Toulouse) de nouveaux types de trains fondés sur le principe du TGV : les TEOZ (différence de tarifs sur un même trajet en fonction de la période de réservation qui est obligatoire). Le service TGV est l’un des plus rentables actuellement. Il y a tout lieu de penser qu’à terme, il sera privatisé. En tout cas, comme pour le service marchandise, le secteur voyageur sera ouvert à la concurrence : des compagnies privées pourront affréter des trains et les faire rouler sur les rails de RFF qui vendra ainsi des itinéraires (des sillons, en langage cheminot) aux différentes compagnies, dont la SNCF. Résultats des courses : de nombreuses lignes de chemin de fer et des gares seront fermées. Sur certaines lignes, il n’est déjà plus possible de voyager en dehors des TGV, ce qui augmente le coût du transport pour les voyageurs.
Rien ne les arrête ! La Poste et le train ne sont pas seuls concernés : ainsi, notre santé elle aussi doit devenir rentable et augmenter les bénéfices des mutuelles et assurances privées. On ne compte plus les fermetures d’hôpitaux de proximité au profit de grands complexes hospitaliers, le nombre de médicaments non remboursés, l’augmentation du forfait hospitalier… L’éducation est soumise au même régime : réduction du nombre d’enseignants, de personnels d’entretien et administratif. L’université connaît depuis plusieurs années des coupes franches dans ses budgets, conduisant à la dégradation de l’enseignement, à l’augmentation des frais d’inscription. Les réformes ont surtout pour objectif de la soumettre aux besoins du patronat lorsque le gouvernement favorise le financement des formations par des entreprises conduisant à la remise en cause des diplômes nationaux au profit de formations déterminées en fonction des besoins du patronat local : les fameux bassins d’emploi.
La liste est encore longue. Bien évidemment, cette politique menée conjointement depuis une trentaine d’années par tous les gouvernement de droite comme de gôche a pour première finalité d’augmenter les profits des capitalistes, et en particulier des actionnaires. Le but est d’ouvrir au marché la plupart des activités humaines pour qu’elles deviennent « profitables », au sens capitaliste du terme. Dans ce contexte, chaque individu devient l’entrepreneur de sa vie, posté à l’affût de toutes les opportunités lui permettant de réaliser des profits (c’est la seconde finalité de cette politique). L’individu/entrepreneur « est un être doté d’un esprit commercial, à la recherche de toute occasion de profit qui se présente à lui et qu’il peut saisir grâce aux informations qu’il détient et que les autres n’ont pas. Il se définit uniquement par son intervention spécifique dans la circulation de biens. ».Loi du marché, concurrence entre les individus, compétition, combat sont des mots qui bornent cet univers. La planète devient un vaste ring de boxe où la raison du plus fort est un principe cardinal avec son cortège de domination, d’exploitation, de misère et de crise laissant sur le carreau les mauvais individus/entrepreneurs qui n’ont pas compris ou su prévoir les aléas boursiers.
Ruptures Pour rompre avec cette logique, ou plus clairement avec le capitalisme, nous devons au contraire lutter pour que la solidarité, l’égalité sociale soient des valeurs supplantant celles de la société bourgeoise. Oui, il faut défendre les services publics, mais en avançant des revendications fondées sur les valeurs que nous prônons. Il semble évident que ces dits services doivent tous être gratuits.
Cela n’est pas rentable, et alors ! Rentabilité signifie dans la bouche d’un capitaliste ce qui rapporte du profit ; autrement dit, ce qui engendre, renforce un partage inégalitaire des richesses. Ces services publics ne doivent pas non plus rester sous la coupe de l’État qui a montré qu’il était prêt à les brader aux actionnaires : en aucune façon, il n’a le souci de créer des conditions de travail dignes de ce nom et n’a que faire des besoins, en soi, des usagers. C’est toujours pour répondre aux exigences de la recherche de profits au bénéfice des capitalistes qu’il investit dans des infrastructures. Il perçoit les êtres humains que nous sommes uniquement comme de la force de travail vivante, qu’il faut conditionner pour en extraire toute la plus value possible ! C’est toujours l’État qui, en impulsant les politiques adéquates, en légiférant, en faisant usage de la force, impose la violence quotidienne du capitalisme pose que « chacun est seul responsable de son sort, la société ne lui doit rien, mais il doit en revanche faire constamment ses preuves pour mériter les conditions de son existence. (…)
Si l’enrichissement doit devenir la valeur suprême, c’est qu’il est regardé comme le motif le plus efficace pour pousser les travailleurs à accroître leurs efforts et leurs performances, de même que la propriété privée de leur logement ou de l’entreprise est regardée comme la condition de la responsabilité individuelle. »4 Pour que ces services publics nous soient enfin rendus, il importe de créer les conditions pour que ce soit à la fois les usagers et les travailleurs qui déterminent ensemble ce dont ils ont besoin et comment y répondre. Il importe de mettre en place des outils, des formes d’organisation permettant aux travailleurs de ces services et aux usagers de construire ensemble, et de manière autonome, de nouvelles organisations et de nouvelles finalités pour lesdits services.
Cette refonte des services publics passe inévitablement par une volonté d’en finir avec le capitalisme. Il devient urgent de se mettre en marche pour construire une autre société où les rapports sociaux soient au centre de son fonctionnement et non plus la recherche de profits ; où l’exploitation et la domination ne seront plus que des mots rencontrés dans des archives rangées dans des bibliothèques. Cela suppose d’en finir avec toute forme de hiérarchie sociale. On pourrait résumer le problème ainsi : comment s’organiser socialement pour que nous prenions nos affaires en mains ?
JC